La Franche-Comté est devenue une province française. Les Orgelétains doivent bien accepter la nouvelle situation mais beaucoup sont amers, regrettent la tutelle de l'Espagne, peu contraignante et qui leur donnait une impression d'indépendance.
Les événements vont vite. La paix est proclamée le 20 janvier 1679 et Orgelet doit préparer les réjouissances habituelles dont un feu de joie. De plus, le maire François Debrand, les trois échevins et quatre conseillers sont convoqués à Besançon pour prêter serment de fidélité devant le gouverneur Duc de Duras. Ils en rapportent l'acte de prestation et indiquent que les maires réunis ont résolu d'envoyer une délégation à Sa Majesté pour lui demander le maintien des Etats de la province.
Au lieu de payer irrégulièrement un don gratuit voté par les Etats, les Comtois vont supporter une lourde fiscalité et d'abord l'imposition royale ou taille que les commis s'efforcent de répartir équitablement. En 1695 suit la capitation, impôt par tête dont le rôle est difficile à établir. D'autres impositions viennent s'y ajouter pour les fortifications de Besançon et le pont de pierre de Gray….
Surtout vont poser question les quartiers d'hiver. Dans la froide saison des compagnies vont longtemps stationner dans la ville. Il faut pourvoir au logement et à la nourriture des hommes et des chevaux. En pays conquis, les officiers sont souvent exigeants et arrogants. Ainsi en 1696 les cavaliers du régiment de Montreuil partant pour Romans après leur séjour d'hiver à Orgelet emmènent avec eux quatre chevaux pris à des particuliers dont celui du maire et oublient de payer ce qu'ils doivent aux artisans ou marchands. Il faut se plaindre à Besançon. Il faut même envoyer un homme à Romans pour obtenir restitution.
La vénalité des offices ne tarde pas à être introduite. Elle ne concerne pas seulement les gens de justice mais s'applique aussi aux offices municipaux qui doivent être achetés par la ville ou à défaut par des particuliers.
La guerre a obligé à de nombreux emprunts qui viennent s'ajouter aux anciens encore non remboursés. La municipalité a bien du mal à payer les intérêts, les arrérages.
Dès les années 1710, pour mieux gérer ses finances, elle établit un budget prévisionnel comportant recettes et dépenses et essayant d'arriver à un équilibre.
A Besançon réside le gouverneur, un haut personnage, et surtout l'intendant qui détient tous les pouvoirs: justice, finance et administration. Les intendants se succèdent, M. de Lacoré, de 1761 à 1784 a le temps de mener une politique de progrès. Au cours du siècle l'intendant contrôle de plus en plus l'administration municipale, impose ses candidats et ainsi restreint les anciennes libertés. A Orgelet il désigne un subdélégué qui transmet ses ordres et lui fait passer les demandes de communautés. Tiendront longtemps cet emploi les avocats Jean Balthazar Varod puis Pierre François Tissot, le premier seigneur de Largillay, le second seigneur de Mérona. Pierre François Tissot ne sera pas remplacé à son déceès survenu en 1779.
L'intendant visite la province. Déjà, le 10 novembre 1685, l'intendant Chauvelin est reçu à Orgelet par la municipalité qui a donné douze écus à la demoiselle Magnin, chargée de s'occuper du repas. On verra en 1753 l'intendant de Beaumont arriver avec son carrosse tiré par quatre chevaux. En 1785 on réserve au nouvel intendant Caumartin de Saint Ange des honneurs exceptionnels car on compte sur lui pour assurer le bailliage et rétablir la subdélégation. On va à sa rencontre jusqu'à La Tour du Meix, on le harangue à la porte de la grande rue, on le conduit en cortège à son logement. On lui présente douze bouteilles de vin d'honneur et un gâteau de biscuits du poids de six livres décoré à ses armes. Dans la soirée on illumine l'hôtel de ville et on tire des boîtes.
A l'église les dommages causés par les dernières guerres demandent à être réparées. On travaille au dôme et à la lanterne du clocher. En 1685, après une collecte, on place une nouvelle horloge fabriquée par Jean Claude Mayet, de Morbier.
Avec le seigneur les relations sont réduites car il vit très loin. Cependant on obtient du maréchal Louis d'Isenghien, en 1749, une simplification des droits seigneuriaux. Il accepte que soient supprimés des droits nombreux et divers contre une somme annuelle de 300 livres, se réservant seulement éminage et lods.
Malgré les difficultés, Orgelet se transforme et s'embellit grâce à la municipalité mais surtout à des initiatives de particuliers.
Les religieuses bernardines ont obtenu un terrain et de vieilles maisons dans la grande rue. Au début du XVIIIe siècle, elles vendent leurs fonds situés à l'extérieur, empruntent et décident de faire construire un grand monastère digne des autres maisons religieuses de la province. Dom Duchesne, religieux et architecte, dresse un plan en 1707 : autour d'un cloître des bâtiments d'habitation à deux étages et une chapelle. Des maîtres d'œuvre sont trouvés : des Italiens qui ont fait leurs preuves en Franche-Comté, Jean Janolti et les frères Bunder. Les travaux de maçonnerie et de charpente avancent régulièrement. Suivent les aménagements intérieurs, le menuisier Jacquemin étant chargé des portes, fenêtres et de l'ameublement. Sont remarquables l'entrée, le réfectoire avec ses colonnes toscanes et la façade de la chapelle. Tout paraît terminé en 1716. Les vocations sont nombreuses et au milieu du siècle le monastère abritera une quarantaine de religieuses. Mais la municipalité n'obtiendra pas qu'elles se chargent de l'instruction et éducation des filles comme elle le souhaitait.
La justice est mal logée dans l'ancienne maison Dagay. Les officiers du bailliage multiplient les remontrances et obtiennent l'autorisation de faire construire sur place une nouvelle "maison du roi" plus vaste et mieux adaptée, la dépense étant répartie entre les communautés du ressort. Le projet prévoit aussi dans le nouveau bâtiment une salle pour le conseil et un cabinet pour le maire. Sous les voûtes pourra se tenir le marché aux blés. En 1715 tout est prêt et la municipalité abandonne la vieille tour de la place au vin.
Orgelet n'a plus d'hôpital depuis l'incendie de 1637 et désespère d'en retrouver un quand, en 1719, Jean François de Marnix, religieux de la royale abbaye de Saint Claude fait savoir que si la municipalité veut bien s'occuper de l'établissement d'un nouvel hôpital il est prêt à payer terrain et bâtiments. C'est une offre à ne pas manquer. L'autorisation de l'intendant obtenue, un terrain est acheté au quartier des Tanneries : une ancienne tannerie et ses dépendances.
Les travaux sont menés par plusieurs entrepreneurs, le principal étant Philibert Maréchal, de Saint Claude. La première pierre est posée en avril 1721, en 1723 l'essentiel est terminé. Les pauvres malades peuvent alors être accueillis par trois dames d'Orgelet puis, à partir de 1730, par des religieuses hospitalières. L'hôpital est déclaré hôpital royal en 1754. Il est plus tard augmenté de deux ailes puis fermé par un mur et une grille. Monsieur de Marnix a payé les premières constructions ; les constructions nouvelles et l'aménagement intérieur doivent beaucoup aux dons de nombreuses personnes pieuses et généreuses.
Depuis longtemps les orgelétains ont l'habitude de demander chaque année, à Lons le Saunier ou ailleurs, des pères capucins pour confesser et prêcher aux bonnes fêtes et surtout pendant l'Avent et Noël, le Carême et Pâques. La municipalité leur trouve logement et nourriture ou les indemnise. Dès 1695, l'abbé de Marnix songe à faire établir à Orgelet un couvent de capucins à ses frais. En 1706 des parcelles sont achetées pour constituer le clos. Les démarches à l'intendance, à la Cour, à l'archevêché n'en finissent pas. Finalement est décidée la construction d'un hospice plus modeste pour quelques capucins et les religieux de passage. Une maison touchant le clos est acquis en 1717 et transformée. En 1728 Monsieur de Marnix prend des dispositions pour la construction d'une chapelle attenante et les travaux sont confiés au maçon Jacquin. Orgelet aura ses capucins qui vont confesser, prêcher et rendre visite aux malades à la satisfaction du public.
Par contre les vieux remparts, difficiles à entretenir, menacent ruine. Il faut se résoudre à les démolir. Les portes, gênant la circulation, sont démolies, celle des Ormes en 1774, celle de la grande rue un peu plus tard. Reste seulement la porte du bourg de Merlia soutenue par un bâtiment nouveau. Les habitants voient disparaître avec nostalgie ces témoins du passé.
La vie religieuse a repris avec de nouveaux prêtres familiers qui ont reçu une bonne formation dans les séminaires. Les orgelétains restent fidèles aux anciennes traditions et veillent à leur respect. Ils aiment toujours en cas de grandes pluies ou de sécheresse organiser des processions "pour implorer la miséricorde divine de vouloir bien changer le temps". Ils tiennent à la célébration des offices de fondation.
La confrérie de la Croix, toujours active, fait en 1745 construire sa chapelle dans la rue de la fontaine. Au cours d'une mission prêchée en 1710 par le chanoine Dorival est créée une congrégation des artisans qui élève aussi sa chapelle dans la rue du château.
Viennent quelquefois des disettes, de nombreux indigents sont signalés. Pour soulager les pauvres les dames de la charité quêtent et distribuent du bouillon. Des personnes charitables et généreuses font pour eux des dons importants qui permettent en 1779 la création du Bouillon de la Charité ou Bouillon des pauvres qui apporte des secours aux personnes sortant de l'hôpital, aux femmes en couches chargées de famille, aux vieillards, aux ouvriers en voyage et aux artisans modestes ayant besoin d'acheter des outils. Mais rien n'est consenti aux fainéants, libertins et irréligieux.
Le collège trouve un local bien adapté dans l'ancienne tour de ville abandonnée par la municipalité. La population est de plus en plus consciente des avantages de l'instruction et les effectifs augmentent. A la fin du siècle on trouve une classe d'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul et trois classes de latinité. Le principal et les régents sont souvent des prêtres familiers qui sont aptes à enseigner le latin et peuvent célébrer la messe journalière. Ils sont choisis par la municipalité qui leur accorde des gages complétés par des contributions des familles. D'ailleurs la municipalité exerce un sérieux contrôle, s'inquiète du niveau des écoliers, préside les examens de passage.
Hélas ! une nouvelle calamité va s'abattre. Le 21 novembre 1752 un incendie provoqué, pense-t-on, par des braises maladroitement transportées se déclare au bas de la grande rue, chez le maçon Denis Perrin. Alimenté par les bois et fourrages, peut-être attisé par le vent, il s'étend : grande rue, rue de la fontaine, bourg de Merlia et rue de l'église. En quelques heures 122 bâtiments sont détruits. Par bonheur aucune victime n'est à déplorer.
Il faut venir au secours des sinistrés. La municipalité s'y emploie. Les habitants des communautés voisines se montrent généreux. Les autorités de la province sont prévenues. Des volontaires, des prêtres surtout, se déplacent, vont de ville en ville pour collecter des dons, l'abbé Maillet ira jusqu'à Paris. Madame de Pompadour envoie la somme de 800 livres. Le roi enfin accorde une importante gratification.
La reconstruction doit commencer rapidement. La municipalité profite des circonstances pour proposer des modifications qui embelliront la ville et faciliteront la circulation. La grande rue sera élargie, la rue de la fontaine redressée. Les maisons reconstruites seront plus belle que les anciennes. Les tuiles sont imposées. Pour stimuler le commerce on demande des foires supplémentaires. En 1754 cinq foires nouvelles sont accordées.
D'ailleurs au cours du siècle agriculture, artisanat et commerce se sont développés. Après la tannerie est venue la fabrication des chaussures puis celle des chapeaux.
Depuis la conquête les guerres n'ont pas touché le sol comtois. Dans ce climat de paix intérieure la population n'a cessé de s'accroître. En 1674 on l'estime à 600 âmes, en 1715 on compte 1160 habitants, en 1775 : 1665, en 1789 : plus de 2000.
On finit par oublier les guerres qui ont opposé Comtois et Français, les brutalités de la conquête. Dès le milieu du siècle, toutes rancunes apaisées, on peut dire que les orgelétains sont devenus français et fiers de l'être.